L’amour – une pièce en un acte de Ludmila Petrouchevskaïa

Je reviens aujourd’hui sur mon travail de traductrice.

« L’amour » et « La cage d’escalier », écrites en 1974, sont deux pièces de Ludmila Petrouchevskaïa, appartenant au recueil dramatique « L’appartement de Colombine ». Nous les avons traduites avec Jean-Cyril Vadi il y a plusieurs mois, et sur le conseil de l’auteur, avons réuni une équipe de comédiens en septembre dernier pour retravailler la version française.

J’en publie un extrait en russe et en français, pour que vous puissiez également découvrir et apprécier l’écriture particulière de Madame Petrouchevskaïa !

ЛЮБОВЬ

Пьеса в одном действии (отрывок)

Людмила Петрушевская

ДЕЙСТВУЮЩИЕ ЛИЦА

СВЕТА.
ТОЛЯ.
ЕВГЕНИЯ ИВАНОВНА – мать Светы.

Комната, тесно обставленная мебелью; во всяком случае, повернуться буквально негде, и всё действие идёт вокруг большого стола.
Входят Света и Толя. Света в простом белом платье, с небольшим букетом цветов. Толя в чёрном костюме. Некоторое время они молчат. Света снимает туфли и стоит в чулках, потом она садится на стул. Когда она надевает домашние тапочки – на усмотрение режиссёра, во всяком случае, это имеет значение – процесс надевания Светой домашних тапочек.

(…)

Света.   Я из-за этих туфель прокляла всё на свете. Бегала, бегала за ними почти весь этот месяц, в результате взяла на полномера меньше и только позавчера.
Толя.    Это когда я тебе звонил?
Света.   В этот день.
Толя.    Трудно было достать?
Света.   Да белых нигде не было. Лето.
Толя.    Заранее надо было.
Света.   Да так как-то.
Толя.    В конце концов, написала бы мне. Адрес я тебе свой оставлял.
Света.   Я тебе тоже адрес оставляла.
Толя.    Я всё бегал с дома продажей.
Света.   Я работала.
Толя.  Там у нас, в моём бывшем городе, можно неожиданно что-то достать. На толкучке по субботам с рук продают.
Света.   Я не люблю с рук, от покойника может быть.
       Пауза. Толя стоит.

Толя.   У нас после зимы там, в моём этом бывшем городке, немецкое кладбище начало оттаивать, рушилось. Представляешь? Зимой кое-как, знаешь, забросали, и вся любовь, а весной стало проседать. Мой приятель там отхватил два красных сапога – один сам из земли показался, а за вторым пришлось порыться, и в самом неожиданном месте, как бы ногу оторванную в головах положили, причём валетом. (Смеётся.) А что, мясо с костями вытряхнул, на базаре выменял. Дорого взял. Вымыл, правда, в озере. Да в озере немцы весной дыбом вставали, льдина на льдину налезала. Там мыть то же самое.

Света.    Фу.

Толя.     Это я в подтверждение тебе. Кто-то эти сапоги купил.

Света.   Фу как.

Толя долго смеётся. Он всё ещё стоит.

Толя.   Вообще-то надо умыться после этого посещения ресторана. Где-то тут был мой чемодан, там полотенце.
Света.    Да возьми там в ванной, наши красные висят.
Толя.     Во-первых, если уж на то пошло, негигиенично, общее полотенце.
Света.    Я тебе другое наше дам, тоже красное.
Толя.     Как различать будем?
Света.   Я тебе зайчика вышью.
Толя.    Зачем? На самом деле у меня тут целое приданое. Простыни есть, пододеяльники даже.
Света.   На своих собираешься спать?
Толя.    Жизнь подскажет.

(…)

Une famille soviétique dans les années 1970
Une famille soviétique dans les années 1970

L’amour

Pièce en un acte (extrait)

Ludmila Petrouchevskaïa

Personnages

SVIETA,

TOLIA,

EVGENIA IVANOVNA, la mère de SVIETA

Une pièce surchargée de meubles; il est en tous cas littéralement impossible de bouger, et toute l’action se passe autour d’une grande table. Entrent SVIETA et TOLIA. SVIETA est vêtue d’une simple robe blanche et elle a un petit bouquet de fleurs. TOLIA porte un costume noir. Ils se taisent un moment. SVIETA enlève ses escarpins et reste en bas, puis elle s’assoit sur une chaise. Le moment où elle se mettra en pantoufles est laissé au choix du metteur en scène – mais le fait de se chausser de pantoufles est important.

(…)

SVIETA       J’ai tout maudit à cause de ces chaussures. J’ai couru, couru pendant presque un mois pour les trouver et au final je les ai prises une demie pointure au-dessous, et avant-hier seulement.

TOLIA          C’est quand je t’ai appelée, ça ?

SVIETA        Ce jour-là.

TOLIA          Ça a été difficile à trouver ?

SVIETA        Des blanches, y’en avait nulle part. L’été, quoi.

TOLIA          Fallait s’y prendre en avance.

SVIETA        Ben oui, mais bon.

TOLIA          Au bout du compte t’aurais pu m’écrire. Je t’avais laissé mon adresse.

SVIETA        Moi aussi je t’avais laissé mon adresse.

TOLIA          J’ai fait que courir – la maison à vendre.

SVIETA        Je travaillais.

TOLIA        Chez nous, là-bas, dans mon ancienne ville, on peut tomber sur des bonnes occasions. Le samedi y’a le marché aux puces.

SVIETA        Je n’aime pas acheter d’occaz. Ça peut appartenir à un mort.

Pause. Tolia, debout.

TOLIA      Après l’hiver, là-bas, dans mon ancienne petite ville, le cimetière allemand a commencé à dégeler, tomber en ruine. T’imagines ? L’hiver, tu sais, ils ont couvert de terre vite fait et hop, fini l’amour, et au printemps ça s’est affaissé. Un copain à moi a déniché deux bottes rouges – un bout de chaussure sortait de terre, et pour trouver la deuxième il a dû fouiller, il l’a trouvée dans un endroit improbable, comme si la jambe arrachée avait été posée près de la tête, tête-bêche en plus. Il rit. Ben quoi, il a fait tomber la chair et les os et a vendu ça au marché. Il en a tiré un bon prix. C’est vrai qu’il les avait lavées au lac. Mais dans le lac, les corps des allemands flottaient debout et poussaient les blocs de glace. Autant pas les laver.

SVIETA       Beurk.

TOLIA         Tout ça pour te le confirmer. Quelqu’un les a achetées, ces bottes.

SVIETA       C’est beurk.

TOLIA rit un long moment. Il est toujours debout.

TOLIA     En fait il faut se laver le visage après cette visite au restaurant. Y’avait ma valise quelque part, j’ai une serviette.

SVIETA      T’as qu’à prendre dans la salle de bain, les nôtres sont rouges.

TOLIA        Premièrement, puisque il s’agit de ça, c’est pas hygiénique une serviette en commun.

SVIETA      Je t’en donnerai une autre à nous, rouge aussi.

TOLIA        Comment on va distinguer ?

SVIETA      Je te broderai un petit lapin dessus.

TOLIA        Pourquoi faire ? A vrai dire j’ai toute une dot ici. Il y a des draps, des housses de couette même.

SVIETA      Tu vas dormir dans les tiens ?

TOLIA         La vie nous le dira.

(…)

Traduction d’Ania Stas et Jean-Cyril Vadi, avec l’aide de Chloé Schmutz, Marie ChampionRodolphe Poulain et Cyril Fragnière.

L'amour de Ludmila Petrouchevskaïa, équipe de traduction
L’équipe de traduction des pièces courte de Petrouchevskaïa au (Petit) 38 à Grenoble, septembre 2016

Nous remercions chaleureusement tous ceux qui ont contribué à ce que le projet puisse avoir lieu !

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2 Commentaires

  1. Merci de faire partager votre expérience, votre savoir-faire et votre maîtrise de cet art subtil qu’est la traduction.Il n’existe pas de traduction facile. Vous savez prendre des risques, faire des choix judicieux, créer un bon équilibre.
    Je trouve que votre texte colle bien à l’univers de ludmila Petrouchevskaïa.

    Réponse
    • Bonsoir !
      C’est très élogieux de votre part – la traduction est en effet un exercice d’acrobate, et finalement une récriture… je suis heureuse que vous reconnaissiez Petrouchevskaia dans ces extraits car c’était ma préoccupation principale !!

      Réponse

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