Je fais partie d’une génération qui – le XXème siècle étant passé par là – n’est pas profondément religieuse, voire pas du tout. Pourtant, l’orthodoxie fait partie de la culture russe, c’est l’héritage de nos ancêtres. Rappelons que l’histoire de l’Etat Russe commence quand le prince Vladimir fait adopter cette religion à son pays païen.

L’icône dont il s’agit est connue de tous en Russie, qu’on pratique le culte orthodoxe ou pas. Elle est un chef d’œuvre d’un maître au sommet de son art.

L’histoire de l’icône

L’icône de la Trinité a été peinte par le moine et iconographe Andreï Roublev en commémoration de Serge de Radonège. Ce dernier fut une figure emblématique de la Russie moyenâgeuse, il a joué un rôle important dans l’unification et la libération de la Russie du joug mongol qui avait duré plus de deux cents ans.

L’icône fut ainsi peinte pour l’Eglise de la Trinité sur les lieux de l’inhumation de Saint Serge, dans le monastère qu’il avait fondé et qui avait été un haut lieu de vie intellectuelle et spirituelle de son vivant.

Symbole de l’unité et de la concorde, la Trinité était également un thème nécessaire pour faire face aux mouvements hérétiques qui prenaient de l’ampleur dans ces temps difficiles.

Le sujet

La Trinité dépeint la scène de l’hospitalité d’Abraham qui reçoit les trois anges – incarnant Dieu le Père, Le Fils et le Saint Esprit – à l’ombre du chêne de Mambré. Les icônes de la Trinité byzantines de l’époque illustraient ce thème avec plus de détail : la table couverte de mets, Abraham et Sarah servant leurs invités avec zèle, une scène secondaire avec l’offrande de l’agneau. Roublev allège la scène en enlevant tout ce qui n’est pas essentiel, laissant les trois figures d’anges, la table et le bol d’eucharistie sur le premier plan, la maison, le chêne et la montagne au fond.

Icône de la Trinité d'Andreï Roublev
Icône de la Trinité d’Andreï Roublev

La composition de l’icône

Les trois anges se tiennent assis en silence sur des chaises basses, ils sont immobiles. Leurs têtes sont penchées, le regard dirigé vers l’éternité. Ils sont repliés sur eux-mêmes et pourtant ils sont pénétrés du même sentiment, celui de l’humilité. Le bol symbolisant le sacrifice de l’agneau posé sur la table est au centre de la composition. Les mains des deux anges au centre et à gauche bénissent l’eucharistie, donnant une clé de lecture à cette composition. L’ange du milieu est le Christ. Pensif et concentré, il est prêt à se sacrifier pour l’humanité. L’ange à gauche, qui personnifie Dieu le Père, le bénit; son visage exprime une profonde tristesse. Le Saint Esprit symbolise la jeunesse et l’inspiration consolatrice. Roublev évoque ainsi le sacrifice de l’amour du père et l’ultime obéissance du fils prêt aux souffrances salvatrices.

Les symboles de l’icône de la Trinité

Le cercle qui est à la base de la composition de l’icône est symbole du ciel et de l’amour de Dieu. (Les anges s’inscrivent dans un cercle et leurs auréoles en forment d’autres).

Le palais, l’arbre et la montagne sont des détails secondaires qui inscrivent la scène dans une intemporalité. Le chêne représente ainsi l’arbre de la vie, de l’éternité. La maison est symbole du Temple sacré, du royaume de Dieu. La montagne, image de l’admiration de l’Esprit.

Ce symbolisme purement religieux prend chez Roublev une signification remarquable, celle de l’amour et de l’amitié entre les humains.

L’icône de Roublev avait une grande autorité. Créée en mémoire de l’homme qui de son vivant avait fait son possible pour appeler les princes russes à mettre fin aux guerres fratricides qui empêchaient l’unification contre l’envahisseur, elle portait en elle le rêve de la paix et de la libération de la Russie.

L’icône de la Trinité est aujourd’hui exposée aux Galeries Tretiakov à Moscou.

D’après le livre de V.N. Lasarev : Andreï Roublev et son école,s Moscou 1966.