L’âge d’argent. Серебряный век

Quand j’étais petite j’aimais beaucoup l’été.

Les écoliers, collégiens et lycéens russes sont en vacances trois bons mois à partir de fin mai ! C’était énorme, je savais que le temps allait être long chez mes grands-parents au fin fond de la Sibérie !

Mais je ne partais pas en vacances les mains vides : nous avions une belle liste de livres à lire avant la rentrée. Alors, je pêchais sur les étagères quelques-uns des titres nécessaires, et je savais que je trouverais le reste chez mes grands-parents, pour de longues demi-journées de lectures.

Cet été j’ai décidé de prendre un peu de temps pour moi, et je ne vais pas mettre en ligne beaucoup de cours vidéos, qui demandent pas mal du travail. En revanche, je vais en profiter pour publier quelques cours de littérature russe que j’ai eu l’occasion de donner aux étudiants de LLCE à Grenoble. Nous allons commencer par un aperçu du début du vingtième siècle qui réserve de bonnes découvertes littéraires à beaucoup d’entre vous !

L’Age d’argent de la culture russe.

A la différence de la dénomination européenne généralement admise fin de siècle qui correspond à la période moderne, nous avons ce terme Age d’argent utilisé uniquement en lien avec la Russie, pour parler de cette période de début-vingtième.

русские сезоны - saison russe
Pусские сезоны – Saisons russes de Serge Diaghilev

La nomination Age d’argent est apparue dans le milieu de l’émigration russe après la seconde guerre mondiale, comme un clin d’œil à l’époque classique (de Pouchkine) généralement appelée Age d’or. C’est une manière de nommer rétrospectivement ce deuxième grand essor de la vie culturelle russe, sans oublier la connotation de dégradation, voire de décadence de l’Age d’argent par rapport à l’Age d’or.

L’âge d’argent commence en 1892, l’année de publication du livre de poésies de Merejkovski Symboles, et s’achève en 1921, avec la mort de Blok et de Goumiliov, ainsi que le renforcement de la censure et la répression d’un certain nombre d’artistes.

Le tournant du siècle est marqué par de nombreuses découvertes dans le domaine de la science : la radioactivité, la physique quantique, la théorie de relativité, mais aussi le cinématographe, l’automobile, la radio, l’aviation. L’avancée impétueuse de la science a donné à l’homme l’illusion de son pouvoir sans limites et de sa maîtrise de l’univers, mais lui a également donné un sentiment de vide existentiel.

L’urbanisation s’accentue : St. Pétersbourg dépasse les 2 millions d’habitants, Moscou s’en approche. Les quartiers des villes se font reconstruire dans le style moderne (comme la rue de Kouznetski most à Moscou). La ville devient un organisme complexe, fait de contrastes violents : centre bourgeois, banlieues industrielles, quartiers ouvriers.

« Crise », « déclin », « dévastation », « renaissance », « fracture » sont les mots qui reviennent souvent dans la Russie du début du XXe.

Москва.Городская Дума.1910-е годы
La Douma de la ville de Moscou, années 1910 – Москва. Городская Дума. 1910-е годы

La recherche de l’idéologie. Le marxisme avec son caractère logique, juste et universel était la théorie la plus populaire du début du siècle. Pourtant une partie de l’intelligentsia russe critiquait la priorité qu’il réservait à la vie matérielle.

Un recueil d’articles philosophiques Jalons (« Вехи ») paru en 1909 a déclenché une violente polémique en Russie. Ses signataires – dont les philosophes Berdiaïev, Strouve, S.Boulgakov – avaient été attirés par le marxisme par le passé, pour se tourner ensuite vers un idéalisme et une nouvelle philosophie religieuse. Ils dénonçaient le dogmatisme de l’intelligentsia qui défendait des théories rétrogrades, son ignorance des problèmes du peuple, son athéisme, son oubli de l’histoire russe. C’étaient d’après eux l’intelligentsia qui portait la responsabilité de la dévastation causée par la révolution de 1905. Leur conclusion consistait en la nécessité des transformations progressives, basées sur les idéaux moraux issus du christianisme. L’idée d’une voie authentique de la Russie, son propre rôle dans l’histoire du monde, nommée l’idée russe tenait une place centrale dans l’œuvre de ces philosophes.

Le début du siècle, c’est aussi le sommet de l’art russe : Rachmaninov, Skriabine, Stravinski deviennent des musiciens à l’échelle mondiale. Les danseurs des « Saisons russes » de Diaguilev charment l’Europe. Levitan, Serov, Nathalie Gontcharoff, Marc Chagall, Kandinski, Malevitch et beaucoup d’autres, ouvrent de nouveaux mouvements dans la peinture.

Tableau sur verre au soleil (petites joies), Vassily Kandinsky, 1910 - Картина на стекле с солнцем (маленькие радости). Василий Кандинский.
Tableau sur verre au soleil (petites joies), Vassily Kandinsky, 1910 – Картина на стекле с солнцем         (маленькие радости). Василий Кандинский.

Deux mouvements se font concurrence dans la littérature russe : le réalisme et le symbolisme. Tchékhov et Tolstoï déjà devenus célèbres continuent leurs œuvres, tandis que percent les nouveaux talents réalistes de Bounine, Gorki, Kouprine, Alekseï Tolstoï.

Mais la ligne rouge de cette période est le modernisme (dont le symbolisme est un courant). Anticipé en 1874 par le théologien et visionnaire Vladimir Soloviev dans sa thèse intitulée Crise de la philosophie occidentale. Contre les positivistes, le modernisme marque une rupture avec le réalisme.

Courant littéraire et artistique, le modernisme est caractérisé par son aspect international, mais aussi interdisciplinaire, puisqu’il touche tant les différents genres littéraires (roman, nouvelle, poésie, théâtre) que les arts visuels, de la peinture à la sculpture, ou encore l’architecture et la musique.

Il peut être défini par une grande innovation et expérimentation formelles, qui traduisent une nouvelle manière de penser l’art. Contrairement à l’univers des auteurs réalistes du XIXème siècle, la vision du monde des modernistes est teintée de doute, d’ambiguïté, de paradoxes.

L'hiver moscovite, Natalia Gontcharova - Московская зима. Наталья Гончарова.
L’hiver moscovite, Natalia Gontcharova, années 1900 – Московская зима. Наталья Гончарова.

Le modernisme littéraire russe se manifeste dans différents courants tels que le symbolisme, l’acméisme, le futurisme, le formalisme. Nous allons nous attarder plus spécifiquement sur le symbolisme, à travers l’œuvre d’Alexandre Blok dans un prochain article !

En attendant ce prochain article, au plaisir de lire vos remarques et de répondre à vos questions !

 

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6 Commentaires

  1. Merci pour ce super cours ! J’apprécie beaucoup la littérature russe (Tolstoï, Gogol, Tourgeniev), mais je n’avais encore jamais creusé le contexte, l’époque qui entoure les auteurs. Ca donne envie d’en savoir plus !

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    • Merci Marie, la suite arrive bientôt ! 🙂

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  2. Excellent article! Très éclairant, qui illustre bien la tendance de la Russie à combler son « retard » et à plonger tête baissée dans la modernité en Art.

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  3. Bonjour Ania, je viens de lire l’article que je trouve vraiment intéressant, j’avais eu l’occasion de lire quelques auteurs russes mais je pense que grâce à vous je vais être occupé un long moment. merci encore

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  4. Bien sûr j’aime ces cours sur la littérature Russe car je ne suis pas informée et j’ai peu lu d’écrivains russes. Ce n’est pas au programme dans la scolarité …..et même si ça l’était j’aurais besoin d’un rappel , ma scolarité est bien lointaine…
    Donc je suis intéressée et vous remercie , je lirai les prochains avec plaisir et découverte.

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    • Avec plaisir Joëlle !

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